De l’underground à l’on the ground… ou comment mettre des danses urbaines venues du monde entier sur une scène comme l’opéra Berlioz ? Et finalement pourquoi ?! Quel peut être le sens de Dub ?
Claire Littaye nous fait part de son regard sur DUB de Amala Danior:
Le dub, à l’origine, c’est un genre musical issu du reggae jamaïcain qui transforme électroniquement des rythmes et des mélodies remixés. Ce titre nous donne une idée du processus de création de la pièce : Amala Dianor a sillonné le monde et capté tout ce qu’il a trouvé de danses urbaines et underground. Dix danseurs, issus de cultures et d’influences diverses apportent un peu de ce qu’on danse ailleurs, dans la rue, entre soi, pour danser et s’amuser, dans une création chorégraphique plutôt décoiffante. La pièce débute avec un danseur d’inspiration indienne, rejoint par un peu de Brésil, un peu de la côte est américaine, un peu d’Afrique, etc…
Alors comment on créé une pièce qui met debout le public d’une salle de 3000 places à partir de danses qui n’existent à la base que pour le plaisir d’être dansées, partagées, échangées, dans des espaces collectifs ouverts où tout est à peu près possible ? Comment on passe de l’underground
(littéralement, « sous le sol ») à l’on the ground (littéralement, « sur le sol ») d’un opéra ?
D’abord, A. Dianor reprend les codes de la danse urbaine : le fluo, les néons, l’oralité, les échanges verbaux, la circulation libre, les graffitis, une variété de styles qui dialoguent sans frontières linguistiques, le mode de la battle et la démonstration, etc. La musique, électronique, est produite en live sur une estrade par un DJ qui fait partie intégrante du collectif de danseurs avec lesquels il interagit continuellement et auxquels il se mêle parfois. Ensuite, sur le principe du dub, le chorégraphe détourne, contraint, diffracte ces codes, amenant « l’underground » à se réécrire on the ground : l’espace est travaillé, structuré, la scénographie et la chorégraphie sont harmonisées et mises en cohérence, les gestes et les déplacements sont écrits, les danseurs s’agrègent et se désagrègent de manière à être lisibles, à se coordonner et, finalement à produire un récit collectif qui a toute sa place à Berlioz.
On peut s’en tenir au plaisir d’écouter et de regarder une pièce colorée, vibrante, explosive d’énergie, de sensualité, d’exotisme, riche de tant d’influences. Ou on peut aller plus loin… chercher à comprendre le sens de Dub. Pourquoi cette pièce ? Que raconte t-elle ? Car le chorégraphe nous pose de vraies questions : est-ce qu’on danse de la même manière tout seul, dans un espace sans murs que si l’on est avec des gens, devant des gens, que si l’on danse pour des gens, dans un espace clôt ? C’est quoi danser pour soi, c’est quoi danser pour l’autre ? Qu’est-ce que l’on danse de soi ? Qu’est-ce que l’on danse de l’autre ?
La première partie de la pièce recréé un espace urbain, minimaliste qui structure l’espace sans le restreindre, un espace libre, des rythmes communs que l’on partage, où l’on se charrie, que l’on habite ensemble et où coexistent la danse, la musique, l’humour, et une certaine théâtralité. Puis vient une pause musicale, des lumières rouge vif dessinent sur la scène des ilots, les spots se tournent jusqu’à nous aveugler : changement de décor. Les danseurs prennent de la hauteur, l’espace se verticalise et tout se passe désormais dans une structure faite de cubes superposés qui évoquent les pièces d’un immeuble. Dans chacune, des éléments lumineux et graphiques qui produisent des ambiances différentes. Bien que les danseurs circulent dans cet espace compartimenté, les cubes/pièces les isolent les uns des autres, rectifient leurs rapports et respatialisent leurs danses. Les néons et les éclairages qui illuminent successivement différentes pièces attirent le regard sur les différentes scènes qui se jouent. L’écriture scénique est beaucoup plus précise et contraignante pour les danseurs qui finissent par se retrouver à danser tous les dix dans un cube central, tout est plus serré, petit, limité. Un danseur s’extrait de la structure, puis peu à peu, il est rejoint par d’autres qui viennent tirer ce qui devient un podium devant l’immeuble. Par la voix, un jeu théâtral, les danseurs réinvestissent l’extérieur. La pièce se termine sur une image forte : les danseurs sont amassés au bout du podium, les bras tendus vers l’extérieur, vers ce qui vient, du monde, transformer leurs danses.